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Peindre c’est voir dans la nuit (ou l’inverse)

 

Je ferme les yeux et il ne fait pas nuit, parce que je ne dors pas encore. Je ferme les yeux et je vois des peintures qui n’existent pas et n’existeront peut-être jamais. Je vois derrière mes paupières closes des formes en suspens, des satellites, des objets en gravitation, des corps flottants. Je vois à l’intérieur des milliards de couleurs. Il serait probablement impossible, illusoire et vain de vouloir les représenter toutes, de tenter de les apprivoiser.

J’ouvre les yeux et ce n’est pas encore le jour. J’ouvre les yeux pour peindre mes propres peintures ou voir celles des autres. Tenter l’expérience. Les images de la nuit qui n’étaient pas encore la nuit noire ont disparu, mais elles ont laissé des traces, des traînées, comme des étoiles mortes depuis des années-lumière et j’attends que la lueur me parvienne. Je n’ai rien peint ou si peu.

Je ferme les yeux et les nébuleuses reviennent comme une persistance rétinienne. Des formes en mouvement voyagent et dessinent des spirales, des tourbillons, des ouragans au ralenti. Une véritable centrifugeuse à couleurs. Je ne peux pas faire de capture d’écran. Je ne peux pas non plus me souvenir de leur trajet ou de leur cheminement. Je peux seulement les retrouver comme de vieux compagnons de route lorsqu’à nouveau je ferme les yeux.

Je peins toujours les yeux ouverts, alors que je peux dessiner ou écrire les yeux fermés. Je peins les yeux ouverts et cependant je ne vois rien ou si peu. Je ne prévois rien quand je peins et à mesure que la peinture apparaît je commence à voir ou plutôt à entrevoir. Si je vois, cela veut dire que la peinture est terminée. Alors je peux fermer les yeux à nouveau.

 

Benoît Sicat,

fin 2019